Chapitre 10
Sam’ le voyait presque tous les jours maintenant. De plus en plus, la couleur revenait. Elle savait que je savais. Je le sais parce que, souvent, elle détournait la tête quand il lui parlait. Alors, la lumière émanait de l’angle mort, et éclairait le plancher. C’est moi qui avait demandé à Sam’ de courber la tête, le plus possible : voir le plancher ou le trottoir défiler m’était moins douloureux que ces sursauts de caméra qui partaient de tous les côtés. Mais lorsqu’elle regardait le plancher ces fois là, ce n’était pas pour me faire plaisir, c’était pour me mentir. La salope. Comment pouvait-elle s’imaginer que je ne savais pas ? C’était impossible. Elle le faisait parce qu’elle savait que j’aurais voulu voir, le voir, celui qui dégageait toute cette couleur. Lorsqu’elle me regardait désormais j’étais terne, gris, sans vie. Mes traits étaient grossis au charbon de bois. Au fur et à mesure qu’elle se rapprochait de chez nous, les couleurs fuyaient, comme jadis mes pixels. Le vert des arbres se cachait dans l’ombre des réverbères, le bleu du ciel palissait comme un enfant malade.
Ce soir quand elle est rentrée, elle m’a regardé dans les yeux, ça m’a dégouté. J’étais hideux. En me voyant en face de moi, j’avais l’impression de parler à une sorte de vampire couvert de moisissure. Ce ne pouvait pas être la réalité. De nouveau, elle me mentait avec ses yeux. Ca m’a énervé. Mais je m’en voulais autant qu’à elle. J’ai frappé mon image. L’image a remué dans tous les sens, tangué, vibré, elle n’arrêtait pas de bouger. Soudain, elle a radicalement blanchi en retrouvant un peu de fixité. Un rideau de couleur rouge m’a recouvert. J’avais toujours cette même apparence hideuse, ni honte ni regret dans mes yeux morts. Alors j’ai encore frappé, frappé, mais cette image ne m’a plus quittée.
FIN