Voici la fin de la sixième nouvelle qui doit figurer dans mon recueil. Comme d'habitude j'attends vos commentaires avec impatience. Vous pouvez lire le Chapitre 1er ici. Merci les Zamis!
Pourtant, un mortel a déjà bravé ces barrières. Il a charmé Cerbère de sa lyre, il l’a convaincu de le laisser passer. Avec un peu de poésie il s’est ouvert la voie vers la lumière. On l’appelait Orphée.
La petite compagnie, guidée par Orphée, a trouvé un gué où passer le fleuve à pieds secs. Il y a devant elle des tombeaux dont s’échappent des flammes. Il y a surtout un escalier putride de cadavres amoncelés.
« L’ascension est douloureuse » déclare Orphée, « mais c’est par là qu’il faut passer. » ajoute-t-il en désignant la porte dorée qui s’élève au sommet des escaliers.
Orphée n’accompagne pas plus avant les rescapés qui doivent continuer seuls. Dans cet escalier macabre et périlleux, chacun de leurs pas fait gémir les cadavres qui en supportent le poids. Les compagnons reconnaissent parfois le cri d’un parent ou d’un proche. Mais ils poursuivent leur ascension en se soutenant les uns les autres, encouragés par la lyre d’Orphée qui continue de jouer.
Arrivés au sommet, ils s’arrêtent, épuisés, pour contempler le spectacle du chemin parcouru. Ils voient les Enfers en leur entier, encerclés par les eaux du Styx ; ils voient au loin le souterrain qui descend jusqu’aux rives sablonneuses du fleuve ; ils voient dans ses eaux tourmentées la grande étoile de mer qui permet à un nocher hirsute d’orienter sa barque jusqu’aux Champs Elysées ; ils voient le petit train qui circule sans destination précise dans le Pré des Asphodèles ; ils voient toute cette route qu’ils ont faite en compagnie d’Orphée, avançant dans la concorde jusqu’au marais qui cerne la grande prison d’airain du Tartare, jusqu’à cet escalier dont ils viennent de vaincre le faîte. Reprenant leur marche ils franchissent ainsi la porte dorée qui le surmonte et courent vers la liberté… C’est alors que trois gueules géantes se dressent pour barrer le passage. Les yeux rougis par la colère, les babines ruisselantes d’une salive pourpre, Cerbère fait claquer ses mâchoires de fer. Il grogne. Il va mordre !
Jean, Samuel, Habyarimana, Tchang, Medhi, William et Danse-avec-les-loups s’élancent. Les barrières s’ouvrent… Ils passent. Libres, ils sont libres !
En abandonnant la bouche du métro, les vainqueurs solidaires aviseront ce grand « M » qui les invite à s’aimer. Sous la caresse apaisante de l’aurore aux doigts de rose, ils songeront aux obstacles dont ils ont triomphé, eux, simples mortels, mais vivants à ce titre. Se considérant les uns les autres, hier ennemis, alliés aujourd’hui, ils s’embrasseront avec force, ils se serreront les mains, ils auront des transports en commun.
FIN